À propos de

Sur la fonction des biographies, des reproductions photographiques et des expositions ; in catalogue Kunst über Kunst, Cologne : Kunstverein, avril 1974, p. 90.

À propos de…

1. La biographie

Le travail entrepris depuis 1965 contredit toute biographie qui se résumerait uniquement (comme c’est généralement le cas) en une liste de dates, de lieux, de signatures. Toute biographie de ce type renseigne, non pas sur la nature des travaux effectués, mais uniquement sur la « respectabilité » sociale, la carrière – dans un milieu donné – de leur auteur.

Pour échapper à la lecture univoque qu’une telle biographie implique (pedigree de l’artiste), une biographie de mon travail exige donc que l’on y introduise – outre les lieux, les temps et les responsables de telle ou telle exposition – le mode, les emplacements, les matériaux utilisés, la couleur, l’invitation faite, le texte d’accompagnement s’il y en a, les rapports d’un travail à un autre, etc., pour chacune des expositions considérées.

Une première bio-bibliographie détaillée de ce type-là peut être consultée dans le catalogue de Documenta 5, et concerne les travaux compris entre novembre 1965 et mars 1972. On comprendra qu’une telle exigence demande plus de place que celle qui m’était réservée ici et que, par conséquent, la suite de la bio-bibliographie de mes travaux sera publiée ultérieurement lorsque l’occasion s’en présentera.

2. La reproduction photographique

Le travail entrepris depuis 1965 rendant caduques toutes tentatives de réduction, toute information véritable à son sujet ne peut être faite que par l’expérience directe et de visu de la part du spectateur aux temps et lieux de son exposition. On comprendra alors la difficulté, pour ne pas dire la contradiction, qu’il y a dès qu’il s’agit d’utiliser des documents photographiques s’y reportant.

Le lecteur doit donc être ici mis en garde sur le caractère académique, partiel, illusoire et en fin de compte trompeur que les photos suivantes peuvent donner du travail qu’elles sont censées illustrer. Si elles sont – bien qu’avec méfiance et parcimonie – utilisées parfois et ici même, c’est qu’il est apparu que leur non-utilisation systématique ne serait en fin de compte pas moins contradictoire quant à la compréhension du travail qui, déjà difficile d’accès par essence (impropre à la conservation, multiple et diffus dans le temps et l’espace, apparaissant et disparaissant, s’installant et s’effaçant) pourrait alors être considéré à tort comme pur concept défiant toute approche et finirait par se dissoudre définitivement dans le mythe de l’absence alors que seule sa présence affirme son absence.

À tout le moins donc, et à condition de ne pas leur prêter plus qu’elles ne peuvent, les reproductions photographiques (souvenirs) visibles sur les pages suivantes témoignent des œuvres et de leur matérialité passée.

3. L’exposition d’aujourd’hui

Le travail entrepris depuis 1965 est également impropre à une exposition rétrospective, du moins sous la définition généralement acceptée que ce terme recouvre lorsqu’il est employé au sujet des activités artistiques. Il est évidemment impossible compte tenu du travail considéré, d’exposer ici ce qui s’est fait ailleurs, autres temps autres lieux.

Cette inadéquation fondamentale de mon travail à se plier sans autre formalité aux routines admises des mécanismes culturels permettant à l’art de se développer et de s’exposer, démontre à l’évidence et paradoxalement combien ce travail se trouve en rupture par rapport au système établi.

Aujourd’hui, pour cette exposition à caractère rétrospectif, un travail spécialement conçu s’étend sur la longueur totale des salles (50 m environ) et est constitué de papiers rayés blancs et colorés directement collés sur les parois du Musée, comme la photo de couverture de ce catalogue en donne un aperçu.

De par son caractère visuellement identique depuis 1965 – et si on ne le considère que de ce point de vue – un travail fait aujourd’hui n’apporte aucune nouveauté visuelle par rapport à un travail fait il y a neuf ans et dont il n’est qu’un fragment – éternel retour – d’un tout en perpétuel devenir.

Comme toute rétrospective, l’exposition d’aujourd’hui peut apparaître aussi nostalgique qu’une vieille rengaine. Paradoxalement, et ce par la nécessité même du travail, la pièce faite spécialement pour cette exposition, si d’un côté elle peut être considérée visuellement comme « rétrospective » de toutes celles qui l’ont précédée, de l’autre côté affirme, puisque faite à chaque fois spécialement (nouveau lieu, moment présent) en se re-faisant/répétant jour après jour, sa différence radicale d’avec le passé.