Outil Visuel

Les bandes verticales alternées, blanches et colorées, de 8,7 cm de large, peuvent apparaître comme étant la signature du travail de Daniel Buren. Plutôt qu’une signature, elles sont un signe, le seul élément immuable des œuvres de l’artiste (parmi d’autres éléments innombrables et variés, en constant renouvellement) et ce depuis plus de quarante ans, et pour des raisons bien précises.

Alors qu’il peint et qu’il s’intéresse déjà au motif que constituent les bandes, Daniel Buren, en 1965, remarque ces rayures régulières sur un tissu au célèbre marché Saint-Pierre, à Paris. Elles lui semblent d’abord intéressantes comme fond révélateur pour la peinture : « Ce dessin a deux avantages : d’abord se montrer et ne pas être confondu avec un fond neutre ; et aussi pouvoir servir de guide à ce qui va s’inscrire sur la toile. » Ses réflexions amènent Daniel Buren à constater que l’environnement de la peinture est devenu plus prégnant que la peinture elle-même. Le motif des bandes alternées apparait alors comme un formidable instrument révélateur à déployer dans l’espace, ce qu’il appellera son outil visuel.

Cet outil, disposé judicieusement dans un lieu donné, peut attirer l’attention et en même temps s’intégrer au site : c’est cet équilibre qui a permis à Daniel Buren de le conserver, son efficacité ne s’étant jamais démentie. À la manière de ponctuations, les bandes verticales révèlent les spécificités, les dimensions d’un lieu (elles fonctionnent comme un instrument de mesure) ; elles incitent aussi le spectateur à porter un nouveau regard sur un endroit familier ; elles sont un appel, un signe, le seul élément invariant d’un vocabulaire qui s’est renouvelé de lieu en lieu, au fil des ans.

Cependant, c’est aussi un leurre que l’artiste tend : il ne faudrait pas considérer l’outil visuel comme un motif en soi, répété à l’envi. L’œuvre n’est pas là, mais bien dans ce que ce signe montre et révèle au spectateur attentif. C’est un motif lisible selon son contexte, tout comme un même et unique mot, utilisé de phrase en phrase depuis des siècles et des siècles par des millions de personnes, ne dit jamais exactement la même chose et ne prend son sens particulier que dans les contextes différents où il est parlé.