© Daniel Buren, ADAGP, Paris
Entrée porte nord
Marc Sanchez : Vous avez donc souhaité que les visiteurs pénètrent dans l’exposition par la porte située à l’extrémité nord de la nef et qu’ils en sortent par la porte située à l’extrémité sud. Qu’est-ce que ce parcours inhabituel permet ou modifie de la perception de l’œuvre et du bâtiment ?
Daniel Buren : Comme je viens de le dire, cette volonté m’était dictée par mon expérience du Grand Palais et je souhaitais vraiment que les visiteurs puissent enfin le parcourir dans toute sa longueur. Or, si vous entrez par l’entrée principale, vous « consommez » tout de suite tout ce qui est donné à voir car, dès que vous avez pénétré dans l’espace, vous vous trouvez immédiatement au centre névralgique. Tout le reste de l’espace devient vide de sens, comme périphérique, n’accompagnant plus rien du tout puisque tout est pris à l’envers !
Cette entrée par l’habituelle porte principale rend ainsi assez inutile les grands espaces qui se déploient de part et d’autre de la coupole centrale, au sud et au nord de cette grande nef. On ne les utilise pas pour qu’ils impriment un rythme particulier à l’ensemble, pour qu’ils le construisent physiquement, pour qu’on les découvre peu à peu en parcourant naturellement et pas à pas tout l’édifice dans le sens de sa longueur. Au lieu de cela, on les transforme en espaces complètement subalternes.
Or, dans un bâtiment comme celui-ci, c’est tout l’ensemble qui doit être vivant, à sa place et vif, et pas seulement l’espace central sous la coupole. On doit le découvrir en chemin, plutôt qu’il ne vous tombe dessus et vous assomme d’emblée, dès l’entrée franchie, qui plus est quand celle-ci est déjà volontairement écrasante et hors de proportions !
D’ailleurs, c’est le principe de toutes les églises et, surtout, des cathédrales. On n’entre jamais directement dans le chœur, on y arrive généralement après avoir marché et avoir traversé et découvert le lieu. Et ce temps-là est important, car c’est lui qui permet l’entrée réelle dans « l’esprit » du lieu.
La situation de l’entrée principale de la nef du Grand Palais est certainement bonne pour un salon de l’automobile, une foire d’art ou des événements de divers types pour lesquels le rapport à l’espace est secondaire mais, en revanche, elle est extrêmement néfaste pour la découverte d’une œuvre, d’une exposition personnelle qui se confronte, seule et directement, à ce lieu monumental.
Ce « défaut », quant à la façon d’entrer dans l’édifice, était frappant pour la MONUMENTA de Richard Serra (par ailleurs et à mon sens l’une des deux meilleures MONUMENTA jusqu’à ce jour) et, je l’ai d’ailleurs appris plus tard, l’artiste avait demandé lui aussi que l’on puisse faire entrer le public par l’entrée nord, mais cela lui avait été refusé.
Pour moi, je le répète, traverser ainsi le bâtiment était l’une des conditions sine qua non pour que je puisse travailler dans ce lieu, et ce dès que je fus invité et bien avant que je sache moi-même ce que j’y ferais. Cette entrée par le nord (ou par le sud), était, est, absolument cruciale.
Finalement, l’entrée dans la nef se fera par la porte nord et sera signalée, à l’extérieur, par un encadrement spécifique qui amènera le visiteur à travers un assez long corridor débouchant dans la grande nef, dans l’exposition même. Au lieu de l’entrée grandiloquente habituelle, cette sorte de tube carré relativement étroit et long « cadrera » l’exposition comme une sorte de longue-vue ; un tunnel simple et modeste, sorte de trou de souris débouchant directement dans l’espace lumineux et grandiose de la grande nef.