©Bernard Boyer
Les photos souvenirs
Daniel Buren a toujours prêté une attention très particulière à l’usage de la photographie, et aux confusions ou paradoxes qu’elle peut engendrer dans le monde de l’art.
Lorsqu’il a achevé un travail, il en réalise lui-même des photographies, qu’il appelle depuis 1967, les « photos-souvenirs », car il tient à indiquer que ces images, nécessairement fragmentaires, ne sont ni l’œuvre, ni sa copie, ni son équivalent d’aucune manière : elles ne sont que des aide-mémoire, des outils.
La photographie élimine en effet de manière irrémédiable de cruciales propriétés de l’œuvre : elle adopte et impose un seul point de vue - celui choisi par le photographe -, réduit la profondeur, interdit la déambulation ; le regard du spectateur devient ainsi totalement passif et « manipulé ».
Les photos-souvenirs ont cependant un statut essentiel, puisque les travaux in situ sont par nature éphémères et disparaissent, sauf rare exception : seules les images de l’œuvre lui subsistent. Et la seule forme que pourrait prendre une rétrospective des travaux de Daniel Buren, au sens traditionnel du terme, serait un recueil imprimé de toutes ces photos-souvenirs.
Pourquoi un livre ? D’abord parce qu’on ne peut pas réinstaller, en le déplaçant, un travail in situ ; mais aussi parce que ces images, au nom volontairement connoté (on pense aux photos-souvenirs de vacances, prises par l’amateur), peuvent être imprimées dans des livres, en cartes postales ou en affiches, publiées sur internet, mais, en aucun cas, ne sont exposées dans un musée ou même commercialisées. Le danger serait, en effet, de les considérer comme des œuvres d’art, de les encadrer, de les accrocher au mur, de les vendre comme uniques « traces » artistiques de l’œuvre, tel que l’ont fait beaucoup d’artistes aux œuvres éphémères, dénaturant alors leurs œuvres originelles.
Daniel Buren refuse formellement d’attribuer cette fonction à la photographie. Pour lui, rien ne peut remplacer l’expérience visuelle et plastique de l’œuvre d’art. La photographie, bien que nécessaire comme preuve, doit ainsi se contenter de son rôle de photo-souvenir. Elle remémore, témoigne, évoque, et trahit à la fois, c’est une « image sans prétention ».